Texte d’opinion sur la norme salariale: quatre problèmes, une échappatoire
Yves Stox - Senior Legal Counsel - Partena Professional
Le gouvernement Michel est préoccupé, à juste titre, par l’évolution des coûts salariaux en Belgique. Durant l’été 2016, l’Europe a elle aussi réitéré ses préoccupations concernant le ralentissement de la croissance. À qui la faute ? Notamment à la conjonction de l’inflation et de l’indexation salariale. Le gouvernement voit à nouveau la loi sur la norme salariale comme LA solution. Pourtant, son remaniement ne pourra satisfaire aux attentes en la matière.
La norme salariale existe depuis 1996 déjà, mais le problème subsiste. Le remaniement de la méthode de calcul et un contrôle plus strict du respect de la législation ne suffisent pas à sortir de la spirale négative de l’inflation et des coûts salariaux en hausse. La norme salariale même n’est pas la solution. Au contraire, les pouvoirs publics créent de nouveaux problèmes pour les entreprises.
Problème 1 : un objectif limité en raison de la comparaison avec seulement trois autres pays
L’objectif de la loi relative à la norme salariale est simple : accroître la compétitivité de la Belgique et compenser ainsi l’indexation salariale. Cette norme doit permettre de veiller à ce que le coût salarial en Belgique n’augmente pas davantage que dans les trois pays voisins (France, Allemagne et Pays-Bas). Comment atteindre cet objectif ? En influençant les négociations au niveau sectoriel. Les partenaires sociaux y réfléchiront certainement à deux fois avant de conclure des CCT accordant des salaires supérieurs à ceux acceptés par la norme salariale.
Une première question : quelle est encore la pertinence d’une telle base de comparaison dans une économie mondialisée ? Il semblerait plus opportun d’étendre celle-ci au moins à tous les États membres de l’Union européenne.
Problème 2 : nouvelles difficultés pour les entreprises
Le gouvernement Michel souhaite adapter la méthode de calcul de la norme salariale. Du travail en perspective pour les économistes du Conseil central de l’Économie, un organe de concertation entre les partenaires sociaux chargés de rendre des avis concernant la norme salariale. Il est difficile de comprendre en quoi un ajustement la rendrait plus efficace. Au travers de la norme salariale, les pouvoirs publics imposent un prix maximal pour le travail, comme c’était le cas pour le pain, dont le prix a été fixé par l’État entre 1945 et 2004. À l’image de celui-ci, le handicap salarial belge n’a cessé d’augmenter depuis 1996.
Les pouvoirs publics génèrent de nouveaux problèmes pour les entrepreneurs. La norme salariale les empêche de définir, à titre individuel, leur propre politique salariale. Rien ne vaut un exemple concret pour y voir plus clair. Imaginons une entreprise en pleine croissance qui souhaite engager de nouveaux travailleurs, mais flirte avec la norme salariale. Ces derniers sont très demandés et coûtent davantage que le travailleur moyen. Le coût salarial moyen augmente au sein de l’entreprise, qui dépasse dès lors la norme salariale et est sanctionnée. L’alternative ? Mettre ses plans au placard.
Problème 3 : non pas un, mais deux moyens de pression
Le gouvernement prévoit non pas une, mais deux manières de sanctionner les entreprises. La première : la norme salariale sera élevée au rang de Convention Collective de Travail (CCT) rendue obligatoire. Un symbole lourd de conséquences. L’entreprise ne respectant pas cette CCT s’expose à des sanctions pénales. La deuxième : les autorités peuvent imposer à l’entreprise une amende administrative de 5.000 euros par travailleur, avec un maximum de 500.000 euros par entreprise.
À noter, la grande différence avec le prix maximal du pain : ce n’est pas les entrepreneurs peu scrupuleux, mais le « consommateur » de travail qui est sévèrement puni. La loi relative à la norme salariale sanctionne uniquement l’entrepreneur. L’autre partenaire de la négociation, la représentation syndicale, reste hors d’atteinte. Cette inégalité de traitement entre des parties équivalentes au contrat perturbe les négociations de CCT et met à mal l’efficacité de la norme salariale. Pourquoi les représentants des travailleurs en tiendraient-ils compte durant les négociations s’ils ne peuvent de toute façon pas être sanctionnés ?
Problème 4 : il y a salaire et salaire
La loi relative à la norme salariale ne précise pas les éléments de la rémunération à prendre en compte ou non. Les indexations salariales demeurent garanties. De nouveaux plans de bonus collectifs également ? La solution depuis 1996 : une note ministérielle reprenant toute une série de cas concrets, à laquelle il devient difficile de se tenir. Il n’est pas logique d’imposer d’une part de lourdes amendes et de proposer d’autre part une simple note ministérielle.
Une échappatoire
Pour échapper à la norme salariale, il existe un truc qui ne date pas d’hier : l’entrepreneur attribue unilatéralement un salaire aux travailleurs au lieu de conclure une convention avec eux. Selon la lettre de la loi, les conventions ne peuvent dépasser la norme salariale. Or, un acte juridique unilatéral n’est pas une convention. Un entrepreneur qui dépasse ainsi la norme n’est pas poursuivi. Il s’agit là d’une subtilité juridique que savent également apprécier les travailleurs.